Je me présente, je m’appelle Blee. Je suis chasseresse pour la Horde, mais cela n’en a pas toujours été ainsi… Pour comprendre ce que je suis devenue, je me dois de vous raconter mon histoire, ainsi que celle de Tinandir, puisqu’elles sont intimement liées.
Je suis née à Lune d’Argent. Pas très original, pour une Elfe de Sang, n’est-ce pas ? Ma famille et moi habitions dans une petite maison, dans le Bazar, où ma mère vendait les bijoux qu’elle confectionnait. Mon père, un serviteur de la Horde, était à la retraite et passait ses journées à m’enseigner son savoir, au travers des livres qu’il collectionnait avec ferveur.
Je n’étais pas une très bonne élève et m’ennuyait vite. Etre fille unique me démoralisait et je passais ma vie le nez à la fenêtre.
C’est de cette manière que je vis pour la première fois Tinandir. Il était très jeune à l’époque, comme moi, et jouait avec sa sœur sur les pavés du Bazar. Je remarquais aussitôt ses beaux cheveux blonds et son agilité – deux choses dont j’étais malheureusement dépourvue.
Chaque jour de l’année, qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, Tinandir était dehors, sur les pavés. Je me demandais comment j’avais fait pour ne jamais le remarquer.
Mais lui ne m’avait sans doute jamais vu, puisque je périssais, seule, chez mes parents.
Le jour où il me vit pour la première fois fut, hélas, le jour où l’on fit une cérémonie pour son père, décédé depuis peu. Mon père connaissait le sien, ils avaient servis ensembles. C’est pour cette raison que nous fûmes conviés, moi et mes parents, à cette triste cérémonie. J’étais alors presque mature, alors que Tinandir l’était déjà depuis quelques années. Il était plus âgé que moi d’une demi-douzaine d’année.
Il avait le regard fixe, le visage fermé. Il semblait remplit d’une volonté qui dépassait mon entendement. Et il était beau.
Je glissais une main sur la soie de la robe de ma mère et l’agitais doucement, quémandant son attention.
-Mère ? Comment s’appelle l’elfe blond, là-bas ?, demandais-je doucement.
Ma mère parut surprise.
-Il s’agit de Tinandir. C’est le fils.
Elle n’en dit pas plus, mais cela suffit. Je connaissais son prénom, il ne me restait plus qu’à l’aborder.
Ce n’était pas gagné d’avance, comme je le remarquais bien vite. Mon père semblait ne pas vouloir en finir avec ses enseignements. J’étais cloîtrée toute la journée dans cette baraque, guettant mon elfe blond par la fenêtre. Lui passait ses journées dehors, aidant chacun de nos voisins dans leurs tâches. Il ne souriait que peu, néanmoins, et semblait toujours ailleurs.
Un soir, quelques années plus tard, alors que mon esprit ne semblait vouloir s’endormir, je jetais un coup d’œil dans la rue. Quelle ne fut ma surprise de voir Tinandir allongé dehors, les yeux grands ouverts, regardant les étoiles !
Je me levais aussitôt, enfilais une vieille tenue en tissu délavé, et bondis en dehors de ma chambre, tout en tâchant de ne pas réveiller mes parents endormis.
Dehors, il faisait étonnement doux, et je goûtais le plaisir de sortir enfin de chez moi. Je fonçais néanmoins dans sa direction. Une fois arrivée près de lui, je ralentis, puis glissais mon visage au dessus du sien, de sorte de lui cacher le ciel.
-Salut !
Il eut l’air surpris, mais sourit.
-Bonsoir.
-Que fais-tu dehors si tard ?
Il eut un rire.
-Je regardais les étoiles.
Je me décalais en souriant, avant de m’asseoir à côté de lui.
-Je m’appelle Blee, fis-je. On ne se connaît pas…
-Tu es la fille d’Unolad. Je me souviens de toi à la célébration de mon père. Une petite chose rousse qui s’agitait aux côtés de sa mère.
Je rougis. Aucun doute, c’était moi.
-Tu as bien grandis, ajouta t’il.
Je tournais la tête avec espoir vers lui, mais non, ce n’était pas un compliment. Juste une constatation.
-Merci, fis-je néanmoins.
Il se leva et me tendit une main, que j’attrapai avec joie. Nous partîmes nous promener dans Lune d’Argent.
Le moment était venu, pensais-je. Après tout, jamais je n’aurais de nouveau une occasion comme celle-ci. Il fallait que je lui parle.
-Tu sais, Tinandir, je voulais…-
BOUM !, fit mon corps alors qu’il s’étalait par terre. Evidemment, il avait fallu que je me prenne les pieds dans le seul pavé qui dépassait du sol.
Tinandir me regarda au moins deux secondes avant de m’aider à me relever. Cela fait, il explosa d’un seul coup de rire.
-Désolé, fit il, ce n’est pas très sympa, mais…
Il fut coupé par un nouvel éclat de rire.
Au moins, je l’amusais.
Il s’excusa de nouveau puis me raccompagna chez moi.
-Il est tard. Bonne nuit Blee, à une prochaine fois !
La seule chose à laquelle j’eus droit ce soir là, fût un bisou sur le front.
Mais au moins, je l’avais fais rire. C’est donc assez contente que je me couchais ce soir là.
Les jours suivants, ou plutôt les nuits suivantes, je le rejoignis et nous bavardions quelques heures. Chaque fois que je tentais une approche, il fallait qu’une racine dépassant des pavés, qu’un râteau posé là malencontreusement où encore que mon propre pied se dresse au milieu de mon chemin. Je le faisais rire à chaque fois.
La chance me sourit enfin quelques mois plus tard. Lune d’Argent était en fête, un soir, et la plupart des jeunes elfes du coin traînaient dans les rues. J’en fis de même, avec l’accord de mon père, bien entendu…
Tinandir était là aussi, occupé à siroter une coupe d’hydromel à une table, tout seul. Je l’y rejoignis, n’en croyant pas ma chance, et m’assit en face de lui.
-Salut.
-Hey, Blee, fit il avec un sourire en coin.
-Tu ne danses pas ?, demandais-je.
-Je ne préfère pas. Je ne sais pas danser.
Lui qui savait tout faire, il fallait bien qu’un truc ne soit pas pour lui…
-Je suis content de te voir, ajouta t’il.
Et, pour illustrer ses paroles qui me firent chaud au cœur sur le coup, il se leva et partit sous mon regard hébété.
Merde alors.
Je m’étais pourtant habillée avec soin, mettant une jolie robe rouge en soie, très décolletée (mon père avait faillit avoir une attaque)… J’imaginais qu’avec ça… Eh non.
J’en étais à un stade de réflexion très avancé quand il revint, une deuxième coupe à la main.
-Viens, on va marcher.
Ah ! L’espoir revint dans mon cœur.
Il nous fit sortir de Lune d’Argent et nous allâmes nous asseoir au bord du lac.
-Tu es très belle, ce soir, fit il alors.
Je me retournais vers lui, et cette fois-ci, c’était bel et bien un compliment. Plus une satané constatation.
Avant que je n’ai eu le temps de lui répondre, il m’avait embrassée.
Les années avaient passées. Nous nous étions installés, tous les deux, dans une petite baraque sur l’île de Haut Soleil. Nous menions une petite vie de couple tranquille, moi la parfaite elfette au foyer, lui le grand, le fort, elfe mâle rapportant les sous et la nourriture.
J’étais très heureuse. J’aurais du me douter que ce n’était pas son cas.
La tradition voulait que ce soit le mâle qui demande le mariage. J’aurais pu attendre très longtemps… Je voulais des petits elfes, aussi, mais cela aussi attendrait.
En fait, je ne suis même pas sûre d’y avoir un jour droit.
Tinandir avait toujours eu besoin de bouger. Aussi, un jour, il revint à la maison, le sourire jusqu’aux oreilles.
-Qu’y a-t-il ?, demandais-je, les mains occupées à laver le linge.
-J’ai croisé un elfe, aujourd’hui. Un Paladin. Il était à Lune d’Argent pour affaires.
Je fronçais les sourcils. Il arrivait souvent d’en croiser, je ne voyais pas ce qui le rendait si heureux.
-Blee, j’ai un truc à t’annoncer. Ce Paladin m’a présenté son maître d’enseignement. Je commence l’entraînement.
Cette annonce fut le début de la fin. Au début, Tinandir revint chaque soir à la maison. Il empestait le Preste-Patte mais semblait inexplicablement heureux.
J’essayais de comprendre, mais rien n’y fit.
-Tu rentres exténué, puant et sale… Quel plaisir en retires-tu, exactement ?
Il n’avait pas répondu.
-En plus, ça va faire au moins deux semaines qu’on a pas fait l’amour, ajoutais-je.
Au sourire en coin qu’il afficha, je compris que j’avais trouvé les mots justes.
-Ca, ça peut toujours s’arranger…
Puis un beau jour, il partit. Pour de bon. Il devait aller aux Terres Fantômes et ne pouvait décemment pas rentrer tous les soirs.
Il me parla la veille de son départ.
-Ecoute, Blee… Toi, tu as vécue choyée toute ta vie dans une jolie maison, avec des parents aimants… Tu en es presque devenue capricieuse, ajouta t’il avec un sourire. Moi, j’ai grandis dans l’idée de rendre fier mon père, et ce encore plus depuis son décès. Tu peux le comprendre, non ? Ce sont les Allianceux qui ont causé sa mort. Je veux servir la Horde pour obtenir vengeance. Et, peut-être, un jour je reviendrais. Ne m’attends pas. Vis ta vie sans moi, Blee, tu mérites de te trouver un gentil Elfe qui aura moins la bougeotte que moi. Tu es encore très jeune…
Et il m’avait quitté.
J’aurais du m’en douter… On était le couple le plus imparfait du monde ! Lui, charismatique, sachant tout faire… Moi, maladroite, quiche même, et ne sachant rien faire de mes dix doigts (à part le ménage et la cuisine, quand même)…
Je passais les jours suivants à me morfondre dans la maison, ne mangeant plus, ne faisant plus rien. Puis, le quatrième jour exactement, ma décision fut prise. Il m’avait demandé de ne pas l’attendre, mais jamais ne m’avait il dit de ne pas le rejoindre.
Je me rendis donc chez les maîtres d’enseignement. N’étant ni combattante, ni même agile, je serais chasseresse. Sans compter que j’étais le genre d’Elfe à ne pas aimer la solitude.
Les débuts furent houleux. Je passais mon temps à courir, coursée par des animaux ou par des Sylveniers. Je ne savais pas tirer à l’arc. Je ne savais pas esquiver les coups. Et je ne savais pas dégainer mon épée sans me la prendre dans la tête. Au moins, je courais vite.
Nombre de fois où je revins près de mon maître en larme. Mais il me remettait sur pied chaque fois.
Je lui dis, un jour, que je pensais que la raison pour laquelle j’avais autant de difficultés était peut être que mes motivations n’étaient pas les bonnes.
-Il n’y a pas de mauvaises motivations, me répondit il. C’est la façon dont vous les considérez qui importe. Rappelez vous votre but, regardez le bien en face. Détruisez chaque obstacle qui se dressera entre lui et vous.
Ses paroles me rappelèrent pourquoi je faisais ça. Et les jours qui suivirent furent bien moins déplaisants.
Puis vint le moment où, enfin, j’eus mon premier familier, un félin. Eko, fut il appelé, et avec lui je partis dans les Terres Fantômes, le cœur gonflé d’espoir.
C’est là que je vis enfin Tinandir. Il sortait de l’auberge de Tranquillien, un énorme sac sur le dos. Il partait quand j’arrivais, visiblement.
Je le hélai. Il se retourna, surpris, et me dévisagea. C’est alors que son visage se décomposa.
-Qu’est-ce que tu fous là, Blee ?
Eko grogna, à mes côtés. Je glissais une main calme sur son crâne.
-Je suis devenue Chasseresse.
-Tu veux te faire tuer ?
Son ton me vexa, mais je ne dis rien.
Il grogna puis m’entraîna avec lui.
-Tu n’aurais pas dû… Tu te lances dans… Dans une vie totalement différente de celle que tu aurais voulue.
-Je sais. Je le fais en toute conscience. N’en parlons pas. Que deviens tu, toi ?
-Oh… J’ai revu le Paladin, tu sais, celui que j’avais croisé à Lune d’Argent. Il m’a proposé son aide. Je fais partie de son équipage, maintenant, sur la Voile Sanglante.
-Alors comme ça tu es devenu pirate ?, dis-je avec un petit rire.
-Oh, ce sont de bons pirates. Des gens bien. Tiens, je te présenterais à Woodruff. Tu es une jolie Elfe, alors il devrait être content.
Je rencontrais en effet Woodruff quelques temps plus tard. Ce sympathique Amiral m’accueillit à bras ouverts. Je fis des rencontres, découvrant l’univers de guerre qui m’entourait depuis toujours, mais que j’avais ignoré jusque là.
Je ne revis qu’occasionnellement Tinandir. Parfois, lorsque je souhaitais un peu d’aide, je lui écrivais. Il me répondait et venait s’il le pouvait. Mais notre relation resta distante.
Aujourd’hui, je suis en Outreterre, prête à relever les plus gros défis de ma vie. J’ai changé de familier il y a un moment. Mon unique allié à présent est Erzal, un raptor qui n’a peur de rien. Je lui fais une confiance aveugle, ce qui est, semble t’il, totalement réciproque.
J’ai appris durant mon voyage à respecter la Horde et à être fière de la servir. J’ai appris également que le confort ne réside pas forcément dans le foyer, mais dans le plaisir d’avoir accompli quelque chose de sa journée. Je ne suis plus la même. Bien sûr, j’ai gardé ma maladresse et mon aptitude à m’attirer des ennuis. Je ne suis pas très douée et suis parfois un boulet pour mes équipiers. Mais cela me rassure. L’ancienne Blee est toujours là, après tout.
Mes sentiments pour Tinandir n’ont jamais changés, mais je sais à présent que je suis capable de me battre pour avoir ce que je veux. Ce n’est qu’une bataille de plus.
Et celle-ci, je la gagnerais.